Échange épistolaire entre André-Carl Vachon et Jean-Marie Nadeau – 29 septembre 2020

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Échange épistolaire entre André-Carl Vachon et Jean-Marie Nadeau – 29 septembre 2020

Jean-Marie Nadeau

Auteur

André-Carl Vachon

Auteur
1re lettre : André-Carl Vachon

Titre : L’Acadie rêvée au temps de la fondation

Bonjour Jean-Marie,

J’espère que tu vas bien. Quand on pense à l’Acadie d’autrefois, on se peut demander s’il y a une différence entre l’Acadie rêvée par les rois de France et d’Angleterre.

Tout a commencé avec la recherche d’un nouveau passage vers l’Asie qui a poussé les Européens à explorer l’océan Atlantique. Pourquoi? Parce que le passage traditionnel de la « route des épices » était devenu impraticable avec l’Empire ottoman. Alors en 1497, le roi d’Angleterre a décidé de financer l’expédition de l’italien Giovanni Caboto, surnommé John ou Jean Cabot, afin de trouver une nouvelle voie navigable vers l’Inde, en passant par l’ouest.

Quelques années plus tard, soit en 1524, le roi de France a financé l’expédition de l’italien Giovanni da Verrazano, afin qu’il cartographie le littoral nord-américain. En navigant dans la région de Washington, il surnomme la région d’Arcadie, en faisant référence aux terres fertiles de la Grèce antique. C’est ainsi que le nom de l’Acadie trouve ses origines. Dès lors, des pêcheurs basques viennent pêcher sur les côtes de l’Amérique du Nord, où ils font la rencontre des Amérindiens.

Or, ce n’est que 80 années plus tard que l’Acadie sera fondée. En effet, le roi de France Henri VI nomme Pierre du Gua, sieur de Mons, vice-roi et capitaine général de « la Cadie », le 8 novembre 1603. Ainsi, qu’il obtient le monopole de l’Acadie, avec le droit de concéder des seigneuries et de faire la traite des fourrures avec les Amérindiens. Le 7 mars 1604, deux navires mettent les voiles en direction de l’Acadie, avec Pierre Du Gua de Mons, Samuel de Champlain, géographe du roi, ainsi que des engagés divers. Après avoir exploré la baie Française, l’emplacement de l’île Sainte-Croix (Dochet Island, Maine) est choisi pour établir la première colonie en Acadie. L’année suivante, la colonie est déplacée à Port-Royal.

Le rêve d’exploiter les richesses naturelles et d’établir une colonie française en Acadie a ensuite été terni. En 1613, Samuel Argall a reçu l’ordre d’anéantir les colonies françaises en Acadie. Les Anglais ont détruit alors Saint-Sauveur et Port-Royal. Ainsi, les Anglais revendiquent le territoire découvert par Cabot en 1497 au nom du roi d’Angleterre.

En 1614, Port-Royal reprend son statut de poste de traite, où près d’une quinzaine d’hommes y vivaient toujours sous la gouverne de Charles de Biencourt, et ce, jusqu’à sa mort en 1623. Vers 1617-1618, il déplace le poste de traite près du Cap-Sable, où les quelques Français y ont construit le port Lomeron.

Entre-temps, Jacques VI d’Écosse concède à Sir William Alexander, le 10 septembre 1621, les territoires de l’Amérique septentrionale du 40e au 48e degré (ce qui inclut l’Acadie et la Nouvelle-France). Le territoire acadien est renommé New Scotland en anglais, soit Nova Scotia en latin. Au printemps 1629, William Alexander fils se rend en Nouvelle-Écosse pour fonder le fort Charles (Charlesfort) avec des colons écossais, tout près de l’ancien Port-Royal. Puis, en 1632, l’Angleterre restitue l’Acadie à la France lors du traité de Saint-Germain-en-Laye. Ainsi la France réanime son rêve de coloniser l’Acadie.

Comme on a pu le constater, les deux rois voulaient exploiter les ressources naturelles et coloniser le territoire.

Jean-Marie, peux-tu nous raconter quel était le rêve du Parti acadien dans les années 1970?

À bientôt,
André-Carl Vachon

2e lettre : Jean-Marie Nadeau

Titre : L’Acadie rêvée du Parti acadien?

Cher André-Carl,

Permets-moi, d’entrée de jeu de te faire part de toute mon admiration et appréciation pour tout le travail d’histoire d’Acadie et de généalogie que tu fais. C’est une œuvre utile. Personnellement, je suis moins entiché de ces matières-là, mais je me réjouis qu’il y en ait qui le font comme toi.

Il est intéressant de constater que tout au long de l’histoire ancienne l’Angleterre et la France ont développé chacun à leur tour un intérêt pour notre Amérique, et se sont échangé sporadiquement ces terres.

Pouvoir exploiter les nombreuses ressources naturelles de ces nouveaux territoires était leur leitmotiv. Quand on voit l’état de la richesse et du peuplement d’aujourd’hui de l’Amérique du Nord, on peut dire que leur mission a été hautement remplie.

Pour ce qui est de nous autres, les Acadiennes et les Acadiens, notre installation sur ces terres a été longue et laborieuse. Le France a été timide à nous envoyer plus de colons. Mais on a tout de même réussi à se doter d’un bon rythme d’établissement, jusqu’à un point tel que les premiers 50 ans des années 1700 étaient considérés comme une certaine forme de paradis terrestre. On vivait bien en Acadie dans ce temps-là : paix, richesse, prospérité, du moins c’est ce que j’en retiens. Le Grand Dérangement est venu mettre un terme à tout cela.

Après plusieurs décennies d’obscurantisme, l’Acadie moderne a germé à la fin du dix-neuvième siècle. Très clairement, le peuple acadien a exprimé son désir de s’assumer à part entière comme peuple. Nous avons été lents à nous développer économiquement. Pour ce qui est de l’Acadie du Nouveau-Brunswick, on peut dire qu’elle a commencé vraiment à s’épanouir à partir des années 1960 de Ti-Louis Robichaud. C’est comme si on venait de découvrir notre potentiel d’émancipation et d’autonomie.

Dès le début des années 70, on s’est mis à créer de multiples organisations sectorielles, que ce soient dans le domaine des arts ou encore du nationalisme avec la SANB, la jeunesse, les municipalités, et plein d’autres. On a même mis sur pied un outil politique pour aider à réaliser tout cela, et c’est le Parti acadien. Tu me demandes ce à quoi on rêvait. Et bien voici!

Ce qu’on voulait en fait, c’est que la communauté acadienne puisse accéder politiquement à plus d’autonomie possible. On voulait gérer et administrer notre existence. La forme politique que l’on avait imaginée pour ce faire était une province acadienne.

Je suis fier de dire que l’on était aussi très progressiste et d’avant-garde sur tous les plans politiques. On parlait déjà d’égalité entre les hommes et les femmes. On privilégiait sur le plan économique la formule coopérative. On prônait la décentralisation administrative, pour que le maximum de ministères s’installe dans les régions. Et bien sûr, on mettait de l’avant la dualité linguistique comme promotion et consécration de l’égalité des deux communautés linguistiques. On avait le vent dans les voiles, et c’était magnifique de voir que ça bougeait sur tous les fronts.

Je continue à croire encore aujourd’hui que le Parti acadien a été un accélérant dans le processus de renforcement identitaire. Sans le Parti acadien, il n’y aurait pas eu cette bouffée nationaliste et autonomiste exprimée majoritairement lors de la Convention d’orientation nationale de 1979 à Edmundston. Et sans la CONA 79, on n’aurait pas eu la loi actuelle régissant notre égalité réelle et notre droit à des institutions homogènes.

On a fait du chemin depuis la fondation de l’Acadie en 1604. J’aimerais que tu continues de me raconter l’Acadie jusqu’à aujourd’hui. Pourrais-tu nous raconter la renaissance acadienne?

Reçois toute mon amitié, et plaisir de te relire!
Jean-Marie Nadeau